Chaque année, 8 000 entreprises disparaissent avec le décès de leur dirigeant fondateur. Sans parler des défaillances consécutives à une transmission improvisée à la dernière minute ou en dernier recours. La solution familiale, si elle revêt certains atours, peut également conduire à une catastrophe industrielle et humaine… À moins d’être correctement préparée. Les conseils d’Élodie Le Gendre, directrice du cabinet Sevenstones dans l’article « Reprise de société. Le gène du chef d’entreprise n’existe pas ! » de Christian Veyre publié sur Ouest-France Entreprises.

Quoi de plus naturel que de vouloir le bonheur de ses enfants. De les voir s’épanouir. Réussir. Et reprendre l’affaire familiale… Sauf, que c’est parfois le plus mauvais choix. Celui du cœur !

Pas à n’importe quel prix

Un constat partagé par Élodie Le Gendre de Sevenstones, un cabinet de conseil qui s’est spécialisé dans la transmission et la reprise d’entreprise familiale et partenaire de la Caisse d’Épargne Bretagne Pays de Loire : « Le marché de la reprise d’entreprises s’est fortement développé et organisé ces dernières années, car de nombreux dirigeants arrivent à l’âge de transmettre ou céder leur entreprise. Le dirigeant peut choisir et préparer la suite en confiance et dans la sérénité, et décider s’il souhaite transmettre l’entreprise au sein de sa famille. La question est alors de savoir si un ou plusieurs enfants ont l’envie et les capacités de reprendre ? Le « gène » du chef d’entreprise n’est pas toujours transmis de façon automatique ! C’est une compétence qui s’acquiert et se travaille. Et parfois, il vaut mieux chercher en dehors de la famille quand le désir n’est pas là. »

Prévoir sa succession très en amont pour éviter les querelles familiales

Dans les faits, pour qu’une transmission intrafamiliale se passe pour le mieux, il est surtout question d’anticipation : « À 75 ans, c’est un peu tard pour prendre ce genre de décision ! Initier une réflexion avant l’âge de la retraite est préférable. » Cela permet de créer les conditions du dialogue avec les enfants – qu’ils reprennent ou pas l’affaire –, « de favoriser la créativité et d’imaginer des modes de gouvernance adaptés où chacun trouvera sa place et aura le temps de se familiariser avec la réalité de l’entreprise. » Il n’y a « rien de pire qu’une transmission empêtrée dans des querelles familiales. C’est stérile et destructeur de valeur pour tous !  »

Se faire un prénom

Pour Élodie Le Gendre, les enjeux psychologiques d’une transmission sont souvent occultés par les principaux intéressés. Une erreur commune mais qui peut s’avérer dévastatrice : « Le repreneur ne peut tirer toute sa légitimité de son patronyme. C’est même plutôt le contraire, car il est un peu attendu au coin du bois ! Il doit parvenir progressivement à se faire un prénom d’autant plus si son père était charismatique et gagner la confiance des actionnaires et des cadres de l’entreprise. S’il ne fait pas ses preuves, le succès ne sera pas au rendez-vous.  »

Des formations pour les actionnaires

Une situation qui a conduit des empires familiaux comme celui des empires familiaux comme celui des Mulliez à imaginer des écoles de formation pour les actionnaires du groupe : « C’est peut-être un des modèles le plus aboutis en France sur le sujet, et qui inspire de nombreux groupes familiaux. »  Les futurs dirigeants sont repérés au sein de la famille, acculturés aux affaires. « On leur donne les moyens de monter leurs projets personnels, on les accompagne pour réussir. La famille les soutient : conseil, capital, logistique, etc. Et si ça marche, les responsabilités s’étoffent au sein du groupe. »

A l’inverse, le patriarche devra, lui aussi, se faire une raison : « Il doit accepter de faire de la place à son successeur, en tant que personne, leader potentiel avec un style différent et ayant des idées nouvelles en matière de conduite de projet et de conduite d’équipe ou de transition numérique… Les générations se succèdent et ne ressemblent pas !  »

Transmettre l’expérience et les contacts

Presque une petite mort en somme. Le ressort ? « Faire et avoir confiance et se projeter dans un avenir réjouissant, en ayant des projets pour après dans leur vie future, détachée de l’entreprise. » Sans pour autant nécessairement couper tous les ponts avec l’entreprise : « Peu de capitaines quittent le navire avec enthousiasme et au bon moment, parce que l’entreprise est toute leur vie. Il faut les accompagner pour qu’ils trouvent une place dans ce nouveau projet. Sans doute pas aux premiers postes. Mais l’expérience et les contacts de toute une vie professionnelle de dirigeant, ça n’a pas de prix !  »

La transmission intrafamiliale est donc affaire de confiance, de compétence, mais aussi de temps : « Une transmission réussie ça prend du temps. En amont et en aval. Rien ne sert de précipiter les choses. Au contraire, ça peut être préjudiciable à tous : cédant, repreneur, famille et même au projet lui-même. »

Gouvernance et charte familiale

À écouter Élodie, même s’il n’existe pas en la matière de solution miracle et que chaque transmission reste unique, certaines recommandations méritent néanmoins d’être suivies : « L’optimisation fiscale de la succession n’est pas le principal problème. Le droit français – même s’il évolue – donne des marges de manœuvres intéressantes notamment dans le cadre du pacte Dutreil. En complément, une gouvernance familiale peut-être mise en place complétée par une charte, et un pacte d’actionnaires permettant de prévoir les mouvements sur le capital familial. Chacun trouvera ainsi son intérêt et sa place dans ce projet de transmission.  »