Fin août 2013, alors que la torpeur de l’été plongeait encore la France dans un état de douce léthargie, on annonçait en grande pompe le mariage de l’année, pour ne pas dire du siècle. Le monde des fusions-acquisitions y voyait le retour des grandes manœuvres, celui de la communication célébrait le pont enfin érigé entre la vieille Europe et les Etats-Unis, les psychologues pouvaient y voir le déclin passager des égos au profit d’une raison pratique de marché, la bourse s’en délectait déjà et les avocats planchaient fermement sur les modalités d’un accord en tous points historique !

Publicis Omnicom… naissance d’un géant, réussissant à faire la synthèse entre les métiers traditionnels et le digital, combinant les talents, les portefeuilles de marques, les implantations internationales majeures et les plans stratégiques de croissance ambitieuse, mais surtout rencontre d’hommes et de femmes partageant en apparence une vision commune.

On aurait pu croire que les égos s’étaient éteints pendant l’été, le temps d’une négociation… Restait à savoir qui serait PRESIDENT ! Bercé d’illusions, chacun finit par s’endormir et croire que tout est bouclé, réglé comme du papier à musique, judicieusement harmonisé et dirigé par « les experts ».

Quelques bruits épars laissent accroire que les choses n’étaient pas si simples, et que la communication « officielle » aurait omis quelques sujets majeurs… Dans la liste des tâches ancillaires, la première question qui semble avoir été occultée est le sens de la fusion. En d’autres termes, qui achète l’autre ? Ou encore qui est aux commandes dans le rapprochement ? Comme en chimie, la manière dont on opère le mélange détermine le résultat final … La règle semblait avoir été oubliée.  On invoqua les problèmes juridiques, mais aussi financiers de l’opération pour expliquer que les choses étaient plus difficiles que prévu, et qu’il fallait donc attendre. Patience était demandée.

L’autre question majeure, passée sous silence, est beaucoup plus délicate. Elle supplante les projections sur excel, les pactes, protocoles, audits et autres joies d’un processus de rapprochement, elle est éternelle, elle est la cause de tant d’exploits mais aussi de nombreux échecs en fusions-acquisitions… Elle se résume brutalement en ces termes : Qui dirige quoi ? Qui décide ? Qui préside ? Qui a le pouvoir ?

N’ayant pas été traitée, ou résolue, le « deal » tant convoité vole en éclats.

« Un rêve brisé «  dira Maurice Lévy, « Nous étions incapables de prendre des décisions sur la direction et d’autres questions clé, malgré tous nos efforts », a reconnu le patron d’Omnicom, John Wren… un mariage avorté, comme il en existe tant d’autres, qui souligne l’importance des aspects « immatériels et strictement humains », et d’un partage de vue sur la stratégie commune issue d’une alliance.

Imprévisible retour de l’être, que certains nommeront « psychologie de base », « querelle d’égos »… bref, la vraie vie des affaires, quand on quitte le papier glacé pour passer dans les coulisses de l’exploit. On visite les cuisines, et le conflit entre les chefs rend indigeste tout le menu, et conduit à l’annulation du banquet…

Comment éviter d’en arriver là ? En abordant en amont les sujets « douloureux », en les posant sur la table de négociation, avant même d’engager plus avant les discussions sur la mise en œuvre d’un projet. Ce n’est pas chose facile. En effet, les protagonistes, animés par la volonté farouche d’aboutir, peuvent être tentés de minimiser les difficultés, voire de les passer sous silence en les réservant à « plus tard ». Certains sont aussi plus concentrés sur les process que sur les problématiques humaines et culturelles, souvent chronophages et délicates.

Pourtant, la joie de notre métier est là,  dans cette combinatoire improbable et parfois mouvementée entre la finance et l’humain,  pour faire émerger des solutions qui puissent satisfaire à la fois les besoins des personnes et le développement de l’entreprise. Il est donc nécessaire d’avoir l’audace de traiter ces questions de manière conjointe avec la finance, le juridique et l’organisation.

Il est rarissime qu’une opération, un « deal » achoppe sur des problèmes de prix. En revanche, l’humain est souvent le catalyseur des échecs… mais aussi des plus grands succès ! Il est donc important, voire essentiel de s’y attarder.

Elodie Le Gendre

Associée Sevenstones