Publié le 1 octobre 2018 par Élodie Le Gendre dans Levée de fonds | Mise à jour le 26 avril 2024
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ToggleRécit d’un naufrage : La Chute du Chantier Nautique Bavaria
« Récit d’un naufrage », « la bataille navale de trop », « trou béant dans la soute »… on pourrait multiplier les titres venant illustrer le funeste destin du chantier nautique allemand de bateaux Bavaria. L’histoire avait pourtant de quoi faire rêver. Un fabricant de fenêtre qui se diversifie judicieusement dans la fabrication de bateaux d’entrée de gamme, bien installé dans sa Bavière natale, qui surfe dès après la chute du mur sur l’ouverture de l’ex-Yyougoslavie où les marinas pullulent plus rapidement que les algues vertes…
Les ventes explosent, portées par une organisation industrielle performante. L’entreprise va jusqu’à fabriquer plus de 3500 bateaux par an. Ses concurrents s’interrogent sur sa méthode industrielle, dont ils vont d’ailleurs s’inspirer, et regardent avec envie cette entreprise dont rien ne semble vouloir assombrir l’avenir.
L’Euphorie Financière et l’Effet de Levier Fatal
En 2007, à l’heure où l’euphorie financière bat son plein, où les fonds regorgent de liquidités et ont un appétit d’ogre aiguisé par la rareté des projets à se mettre sous la dent, le « Bavarois » savoureux remporte tous les suffrages et gagne le concours « top chef » des valorisations…. 1, 2 milliards est alors déboursé par Bain capital. Le Bostonien dévore le Bavarois et lui colle, comme on colle une cerise sur un gâteau, en sucrerie une dette astronomique pour faire passer l’amertume du prix.
À l’époque, l’effet de levier s’est transformé en effet multiplicateur dans un environnement bercé par l’illusion que les arbres, surtout quand ils viennent des forêts bavaroises réputées, vont monter au ciel.
Le Tsunami de 2008: Bavaria Face à la Crise Financière
Patatras, 2008 et sa crise financière bouleverse le fragile équilibre, les ventes s’effondrent, le mur de la dette se rapproche, le bateau dérive et perd le cap, si bien qu’en 2009 Anchorage et Oaktree Capital rachètent l’esquif pour un cinquième de son prix à l’infortuné Bain.
La Spirale Décroissante et l’Inévitable Redressement Judiciaire
Ce qui avait fait la réussite de Bavaria devient son pire cauchemar : la baisse des volumes ne permet plus d’investir dans l’outil désormais vieillissant, la dette bien que réduite reste étouffante et le management, bien que navigant sous gréement « tempête », valsesant régulièrement à la mer très régulièrement au rythme des alertes sur résultats et sous pression constante perd la boussole.
Il y a trois ans, la direction effectue un dernier virement de bord, tente un dernier coup de barre en créant une nouvelle gamme, mais ce changement de positionnement intempestif et non compris par les clients fait un flop. En 2018, le sucre mouillé fini par couler, le gâteau a fini par tomber par terre… et Bavaria entre en redressement judiciaire. La régate s’arrête brutalement. Fin de partie.
La Morale de cette Fable Financière
Il y a une morale dans cette fable du capitalisme financier en proie à ses démons. « L’outrance conduit au naufrage … »
La Course au Large et ses Victimes
Quand la disette pointe son nez (peu de cibles pour un grand nombre d’acheteurs), que la faim taraude (excès de liquidités des investisseurs financiers, sous pression pour les mettre au travail au plus vite au risque que leurs sponsors ne les leur reprennent), alors que les sirènes chantent les mélodies suaves aux chasseurs de primes (à coup de business plan très agressifs soutenus par des effets de leviers de dettes colossales qui finissent par étouffer gaulois, bavarois, américains et tutti quanti), la course au large tourne au carnage organisé (les managers se succédant comme des mercenaires sur-stressés à la tête du paquebot à la dérive), chacun tirant des bords dans le brouillard dans l’espoir d’atteindre un port fantomatique qui aurait pour nom… le succès financier.
Survivants et Enseignements d’une Crise
La suite de la morale pourrait être… « mais tous les passagers ne périssent pas ».
Les victimes de ces excès sont nombreux, les premiers étant la société qui finit par déposer le bilan, et l’ensemble de ses contreparties, salariés, clients, fournisseurs, emportés dans la tourmente, exsangues et sidérés par la fin tragique du voyage. Les managers successifs qui ont été convoqués pour redresser, faire le ménage, redonner un souffle, puis balayés parce que jugés insuffisamment rapides à inverser la tendance sortent souvent en « burn-out » de telles aventures, dégoutés, ou prêts à tout pour se refaire… Dans tous les cas, ils sont rarement heureux et rayonnants.
Les investisseurs financiers et les banques ayant participé au fossoyage sont chahutés et même secoués dans leur base mais ils font partie des survivants dont on peut s’étonner de la vaillance. Il est certes plus dur pour certains d’entre eux de trouver des sponsors pour la levée de fonds suivant un échec retentissant, mais la finance a parfois la mémoire courte et l’argent doit trouver à s’employer… Tristes tropiques !
Appels à la Prudence dans un Monde Financier Volatile
Les appels à la « responsabilisation de la finance » dix ans après la crise « historique » de 2008 se multiplient et il est intéressant de s’y arrêter surtout quand l’horizon prend un peu les mêmes teintes qu’il y a une décennie. Valorisations record, leviers de dettes qui retrouvent leurs niveaux de 2007, liquidités en excès en quête de thématiques d’investissement, incertitudes géopolitiques… La prudence est donc de mise pour les entrepreneurs soucieux d’assurer la pérennité de leurs entreprises par tout temps. Sachons donc raison garder et privilégier le long terme… Ou encore restez frugal plutôt que glouton.